À nouveaux élèves, nouveaux enseignants et nouveaux formateurs
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À nouveaux élèves, nouveaux enseignants et nouveaux formateurs ? Philippe Perrenoud Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation Université de Genève 2009
Adresses Internet http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/ perrenoud/ Laboratoire Innovation-Formation-Education LIFE http://www.unige.ch/fapse/life 2
Nouveaux élèves ? Chaque année, l’école accueille de nouveaux élèves, qui entrent en scolarité. Mais ce n’est pas ce dont il s’agit ici. Parler de nouveaux élèves c’est dire que les élèves ont changé au fil des ans, que ceux de 2009 ne sont pas semblables à ceux de 2000 ou 1980. Sans doute est-ce vrai, encore qu’il faille identifier les différences et les attester. Ces changements peuvent modifier l’exercice du métier d’enseignant. Faut-il pour autant parler de « nouveaux enseignants » ? 3
Nouveaux enseignants ? Chaque année, l’école accueille de nouveaux enseignants, qui entrent dans le métier. Mais ce n’est pas ce dont il s’agit ici. Parler de nouveaux enseignants, c’est dire que les enseignants ont changé au fil des ans, que ceux de 2009 ne sont pas semblables à ceux de 2000 ou 1980. Sans doute est-ce vrai, encore qu’il faille identifier les différences et les attester. Ces changements peuvent modifier l’exercice du métier de formateur. Faut-il pour autant parler de « nouveaux formateurs » ? 4
À nouveaux problèmes, nouveaux métiers ? Tout métier est confronté à l’évolution des situations et des activités de travail, appelées elles-mêmes par l’évolution des usagers, des technologies, des conditions, des contextes, de la division et de l’organisation du travail et de bien d’autres facteurs. Ces évolutions exigent certainement de nouvelles connaissances, de nouvelles compétences, peut-être une nouvelle identité. Mais on ne devrait parler de nouveau métier que si la professionnalité a changé, si un métier émergent se substitue à un autre, en voie de disparition. 5
I. Un changement de professionnalité?
Définir la professionnalité On peut concevoir la professionnalité d’un métier comme l’ensemble de ses caractéristiques structurelles, celles qui permettent de le comparer aux autres par delà la diversité des tâches et des activités concrètes. On peut lier ce concept au degré de professionnalisation d’un métier, sur un axe qui va des métiers d’exécution aux métiers les plus autonomes. Cet axe, aussi crucial soit-il, ne suffit pas à rendre compte de la complexité. Il faut identifier la position de chaque métier dans un espace multidimensionnel. Il y aurait « nouveau métier » si cette position se modifie notablement. 7
Problèmes théoriques et méthodologiques Les axes constitutifs de cet espace multidimensionnel ne sont pas identifiés de manière consensuelle. Un métier est une abstraction qui renvoie à une diversité de genres, de styles, d’incarnations sur le terrain. Un métier est un type idéal, une construction mentale. Les dimensions sont liées par des interdépendances, mais pas assez forte pour empêcher des évolutions de d’ampleur voire de sens différents. Les évolutions sont asynchrone, parfois contradictoires. Ces évolutions sont souvent graduelles, il est donc difficile de repérer de fortes ruptures, en particulier lorsque les technologies ne jouent pas de rôle majeur. 8
Une approche exploratoire Le laboratoire LIFE s’est demandé en 2008 si la professionnalité du métier d’enseignant était en évolution et si oui, dans quel sens : professionnalisation, déprofessionnalisation ou mouvements incohérents. La liste de dimensions alors établie n’est pas la seule possible. Elle n’est ni exhaustive, ni définitive. Elle permet cependant de se demander s’il y a évolution structurelle du métier d’enseignant (ou du métier de formateur) ou si l’on assiste simplement au renouvellement des tâches, des problèmes, des connaissances, des moyens d’action, comme dans tout métier d’aujourd’hui. 9
Quelques dimensions qui s’imposent 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. Nature du prescrit et degré d’autonomie au travail Référence à un état de l’art et des savoirs. Référence à des orientations éthiques. Prise collective des acteurs sur leur métier. Contrôle de la formation initiale et continue. Responsabilité juridique. Développement professionnel. 10
1. Nature du prescrit et degré d’autonomie au travail Professionnalisation minimale Prescrit détaillé et fermé relatif aux finalités et aux modalités du travail, dans toutes ses composantes. Le métier se résume à l’exécution de procédures censées assurer la réussite de l’action, même si elles requièrent toujours, de facto, une part de jugement et d’adaptation. Les possibilités d’innovation ne sont pas ou presque envisagées. Si elles le sont, elles demandent à l’acteur un investissement difficile ou/et « hors la loi ». Professionnalisation maximale Prescrit ouvert, se limitant aux objectifs et aux principes généraux à respecter. Avec une invitation, s’agissant des modalités, à faire au mieux compte tenu des situations, des ressources, en restant dans le cadre du droit et de l’éthique. La capacité d’innovation est à la fois possible et requise. 11
2. Référence à un état de l’art et des savoirs Professionnalisation minimale L’état de l’art et des savoirs est incorporé aux prescriptions, c’est l’affaire des concepteurs, les opérateurs n’ont pas besoin de le connaître, ils ne sont d’ailleurs pas censés avoir la formation intellectuelle requise pour saisir les fondements du prescrit. La place laissée au jugement professionnel est limitée. Professionnalisation maximale Les praticiens sont censés connaître l’état de l’art et des savoirs et s’y référer pour prendre des décisions et adopter des stratégies efficaces. La part du jugement professionnel est très grande, nul ne peut prévoir ce qu’il faut faire dans des situations complexes. 12
3. Référence à des orientations éthiques Professionnalisation minimale Les orientations éthiques sont incorporées aux prescriptions, les opérateurs n’ont pas besoin de les connaître et de s’y référer. La part du jugement éthique des opérateurs est très limitée. Professionnalisation maximale Les praticiens sont censés connaître les orientations éthiques du système qui les emploie et s’y référer pour prendre des décisions et adopter des stratégies conforme à l’éthique. 13
4. Prise collective des acteurs sur leur métier Professionnalisation minimale Le métier est défini par les employeurs, il n’est pas organisé en corporation audelà de l’association syndicale, il n’est pas représenté comme tel dans la société. Professionnalisation maximale Le métier est constitué en une corporation professionnelle, parfois un ordre professionnel, qui a des tâches de développement, de relations publiques, de rapport à l’Etat, d’intervention dans les médias. 14
5. Contrôle de la formation initiale et continue Professionnalisation minimale La formation initiale et continue est pilotée par les employeurs et par des écoles dans lesquelles le métier n’est pas fortement représenté. Si les gens de métiers interviennent dans la formation, ils n’ont pas prise sur les programmes et les dispositifs. Professionnalisation maximale La formation initiale et continue est pilotée par les professionnels et leur corporation. L’essentiel de la conception et de la mise en œuvre de la formation appartient aux professionnels. 15
6. Responsabilité juridique Professionnalisation minimale Les praticiens ne sont responsables personnellement que s’ils se sont écartés des prescriptions. Les autres responsabilités sont assumées par l’organisation qui les emploie et prescrit leur travail. La responsabilité se limite à une obligation de moyens. Professionnalisation maximale Les praticiens sont responsables civilement et pénalement de leurs actes, ils peuvent être poursuivis personnellement pour faute professionnelle, manquement à l’éthique ou résultats insuffisants. La responsabilité tend vers une obligation de résultats. 16
7. Développement professionnel Professionnalisation minimale Les salariés sont astreints, s’ils veulent garder leur emploi, à suivre des formations obligatoires et définies par l’organisation. Professionnalisation maximale Les professionnels sont censés prendre les initiatives nécessaires pour tenir à jour et développer les connaissances et compétences. 17
Situer les métiers d’enseignant et de formateur Sans doute chacun, en fonction sa connaissance du terrain parviendrait-il à situer l’un ou l’autre métier dans cet espace à sept dimensions, voir à décrire le sens et l’ampleur des évolutions en cours. Y a-t-il consensus à ce sujet ? On peut en douter ! Tout le monde croit savoir en quoi consiste ce métier, mais seuls les travaux de recherche décrivent la réalité des pratiques et du travail. En quoi consiste au jour le jour le travail d’un enseignant, on ne le sait guère. On parle donc d’un métier en parlant de tout sauf de ce qui le constitue au quotidien Le plus urgent est de se rapprocher d’une vision réaliste de la réalité complexe et diverse de ce métier. 18
Deux approches des évolutions du métier Rappelons la question initiale : le métier change-t-il et dans l’affirmative, est-ce une évolution structurelle ou un simple renouvellement des activités et des conditions de travail ? Pour le savoir, le plus satisfaisant serait de disposer de données à large échelle, permettant de comparer l’état du métier à intervalle de 5 ans par exemple ou dans divers pays. A défaut, on peut énumérer les changements du système éducatif et les évolutions du métier d’enseignant qu’elles peuvent vraisemblablement provoquer. Sachant que l’on manie des données complexes et qu’il faut rester prudent. 19
Ce qui a changé dans le système éducatif Concentration de populations à risques dans les zones urbaines. Diversification culturelle et ethnique du public scolaire. Hétérogénéité croissante des acquis scolaires, cycles. Ambiguïtés et tensions dans la division du travail éducatif. Inflation et renouvellement rapide des savoirs. Objectifs de plus haut niveau, accent mis sur les compétences. Programmes flexibles et autonomie des établissements. « Ecoles parallèles », internet, technologies, accès aux savoirs. Dégradation du sens de l’école. Démocratisation : la fin des héritiers. Une école pour classes moyennes. Logiques de marché et consommateurs d’école. Marchandage permanent des réformes du système éducatif. Discontinuité des politiques. Culture de l’évaluation et recherche d’efficacité. 20
Ce qui change dans le métier d’enseignant Faire face à des élèves en grande difficulté. Faire face à des classes très hétérogènes scolairement et culturellement. Faire face à des élèves qui refusent l’école ou n’en voient pas le sens. Faire face à la violence. Négocier avec les parents. S’adapter à un renouvellement rapide des programmes. Développer des compétences et les évaluer. Faire des choix curriculaires à l’échelle d’une école. S’appuyer sur les technologies et les autres sources de savoir. Passer du sens commun à une didactique pointue. Différencier son enseignement, pratiquer une évaluation formative. Travailler en équipe, coopérer avec d’autres professionnels. S’impliquer dans un projet d’établissement. Rendre des comptes. Gérer sa formation continue. 21
Y a-t-il changement structurel ? Les changements en cours, si on en admet leur réalité à large échelle, impliquent-ils l’émergence de métiers nouveaux ? Pour le savoir, reprenons les sept dimensions proposées et tentons de voir si les changements évoqués ont des incidences notables sur le positionnement du métier d’enseignant dans cet espace à sept dimensions, ce qui indiquerait une nouvelle professionnalité. Même question pour le métier de formateur. 22
1. Nature du prescrit et degré d’autonomie au travail Métier d’enseignant Le prescrit tendrait plutôt à proliférer, les évolutions des programmes (socle commun), des publics, des familles, des missions des établissements incitent la hiérarchie à renforcer les prescriptions plutôt qu’à faire confiance aux enseignants. L’autonomie des établissements, si elle s’accroît (?), n’augmente pas ipso facto celle des professeurs, ni individuellement ni collectivement. Métier de formateur L’institutionnalisation progressive de ce métier et son extension invitent plutôt à le normaliser. Le temps des pionniers, des aventuriers, des inventeurs s’achève, celui des formateurs-fonctionnaires commence : certifications évaluation en cours de « carrière », inscription dans des dispositifs standardisés et homologués en haut lieu. 23
2. Référence à un état de l’art et des savoirs Métier d’enseignant L’état de l’art et des savoirs n’évolue que faiblement. Certes, les sciences de l’éducation se développent, mais elles restent étrangères à la plupart des enseignants, notamment au second degré. Quant aux savoirs experts des professionnels, en dehors des mouvements pédagogiques, existent-ils ? Métier de formateur Il y a un état de l’art et des savoirs en formation des adultes, autour des dispositifs, de l’alternance, de l’ingénierie, des bilans de compétences, de l’individualisation des parcours, de l’analyse du travail. Les formateurs d’enseignants participentils de cette culture ? . 24
3. Référence à des orientations éthiques Métier d’enseignant En l’absence d’un ordre professionnel, aucune instance n’est habilité à instituer un code d’éthique contraignant, ni même un code de déontologie. L’éthique reste l’affaire de l’institution, qui la décline en règles relatives à la vie privée, aux sanctions, à l’équité. L’éthique des professeurs reste une affaire privée. Métier de formateur La question de l’éthique en formation d’adultes commence à prendre corps. En formation d’enseignants, elle est à peine posée, c’est, plus encore que pour les enseignants, une affaire essentiellement personnelle. Seules exceptions : la PNL, les séminaires d’analyse de pratiques ou de développement personnel.25
4. Prise collective des acteurs sur leur métier Métier d’enseignant Les enseignants et leurs organisations syndicales ont un immense pouvoir de blocage et de sabotage des réformes, autrement dit d’opposition aux orientations du ministère ou du réseau. Les enseignants impliqués dans l’élaboration de programmes, de réformes, d’outils ne sont pas les porte-parole de la profession, plutôt de futurs cadres ou formateurs Métier de formateur Formateur, une fonction ou un métier ? Nombre de formateurs sont enseignants détachés à temps partiel. L’organisation du métier est faible, l’action collective des formateurs cantonnée aux organisations qui les emploient. Peut-être existet-il des réseaux peu visibles, mais qui font circuler des idées auxquelles les institutions se réfèrent. 26
5. Contrôle de la formation initiale et continue Métier d’enseignant La formation initiale et continue est pilotée par l’Etat, les universités, les académies, les enseignants en exercice ont peu d’influence sur les orientations, les contenus, les référentiels e la formation initiale. Ils ne pèsent même pas sur la définition de leur rôle dans la formation initiale. Métier de formateur La formation initiale des formateurs relève plus souvent de l’itinéraire personnel que d’un cursus universitaire. Leur formation continue est laissée soit à l’initiative des personnes, soit à celle des institutions qui emploient les formateurs. Ces deniers ont peu de contrôle collectif de leur formation, pas plus que les enseignants. 27
6. Responsabilité juridique Métier d’enseignant Sauf pour ce qui concerne le code pénal, les enseignants ne sont pas responsables de leurs gestes professionnels, sauf s’ils dérogent ouvertement et de manière répétée aux prescriptions. L’inefficacité du travail n’est pas juridiquement attaquable, elle est réprouvée par le biais de la mauvaise réputation ou de la plainte des parents ou des lèves. Métier de formateur Les formateurs ne sont pas plus responsables que les enseignants. Ils sont encore plus protégés puisque certaines régulations s’opèrent sur le mode du marché et surtout parce que les résultats attendus ne sont ni explicités ni évalués. 28
7. Développement professionnel Métier d’enseignant Les enseignants sont, de manière exceptionnelle, astreints à suivre des formations obligatoires. Pour le reste, ils sont libres d’investir ou non dans leur propre formation continue, sans que leur choix aient d’effets visibles sur leur carrière. Métier de formateur Les formateurs fonctionnent largement selon le même régime, sauf lorsque l’institution qui les emploient ou leurs associations prennent des initiatives. 29
Peu d’indices de professionnalisation S’il fallait risque un diagnostic global, on pourrait dire qu’en dépit des changements des publics, des programmes, des familles, de la société, des raisons de devenir enseignant, la professionnalité des enseignants n’évolue guère depuis 30 ans. Il y a des avancées locales mais aussi des régressions. La formation des enseignants tend à devenir un métier, mais ses caractéristiques se calquent encore largement sur le métier d’enseignant. Ces stagnations, moins spectaculaires que les changements, devraient cependant nous inquiéter. L’universitarisation de la formation ne produit aucun miracle et peut même déprofessionnaliser. 30
Prolétarisation ou professionnalisation ? Veut-on que le métier d’enseignant aille vers une plus grande professionnalisation, se fonde sur des savoirs et un jugement professionnel davantage que sur des prescriptions ? Est-on prêt à en payer le prix ? Ou préfère-t-on en rester à une semi-profession, ou même accentuer la prolétarisation, normaliser à nouveau le métier à travers un flux de prescriptions, de méthodes, de grilles, de contrôles ? Dessiner l’avenir du métier d’enseignant, c’est aussi et peut-être d’abord répondre clairement à ces questions, sortir de la valse-hésitation et des contradictions entre le discours et les pratiques. 31
II. Un changement de tâches et de compétences ?
La prise en compte d’autres changements Même s’il n’y a pas de nouveaux métiers, il y a évolution des problèmes, des tâches, des conditions de travail, donc des pratiques. Ces évolutions, si on en admet la réalité à large échelle, suffisent à questionner la formation initiale et la formation continue. Il importe de construire et de mettre à jour régulièrement un référentiel de compétences réorientant la formation initiale et les offres de formation continue. Sa cohérence conceptuelle et ses fondements empiriques sont essentiels. Il est temps qu’on change de méthode, qu’on passe de la discussion autour d’une table à l’analyse clinique du travail et à l’enquête à large échelle sur les pratiques. 33
La chaîne de transposition didactique Repérage des pratiques et situations pertinentes v v Description fine de ces pratiques et situations v v Identification des compétences et des ressources v v Etablissement des objectifs puis des contenus de la formation Adapté de : Perrenoud, Ph. (1998.) La transposition didactique à partir de pratiques : des savoirs aux compétences. Revue des sciences de l’éducation (Montréal),Vol. XXIV, n 3, pp. 487-514. 34
Identifier les familles de situation Si l’on accepte l’idée qu’une compétence n’est définie qu’en référence à une famille de situations de même structure, il s’agit d’identifier les familles de situations caractéristiques d’un métier. Or, aucun métier ne dresse spontanément la liste des situations professionnelles à prendre en compte. Si on fait ce travail d’enquête, on se trouve devant un nombre très élevé de situations singulières. Avec deux interrogations : 1. Lesquelles retenir comme caractéristiques du métier ? 2. Comment les regrouper en familles pertinentes ? 35
Situations problématiques et emblématiques Comment ne pas se perdre dans la diversité ? En retenant en priorité les situations professionnelles problématiques et emblématiques : Une situation professionnelle est problématique si le sens commun ne suffit pas à en venir à bout, si elle exige des ressources dont chacun ne dispose pas, une forme d’expertise et d’entraînement, bref, une formation spécialisée. Une situation professionnelle est emblématique si, sous des formes qui varient, elle se présente assez souvent pour en être constitutive et significative d’un métier. 36
Fuir le politiquement correct et l’excès de rationalité Au-delà des problèmes de méthode, se pose la question de l’autocensure et de la censure que sont tentés d’exercer les acteurs au moment de dévoiler la réalité du travail des enseignants. Si la formation est parfois décalée par rapport à la réalité des tâches effectives et des conditions réelles de travail, c’est parfois en raison d’un décalage entre les changements et l’adaptation des curricula de formation initiale, voire les offres de formation continue. Mais c’est surtout parce que l’institution et la corporation refusent d’admettre une partie de la réalité. 37
Le savoir, la raison et le reste Le métier d’enseignant consiste certes à transmettre rationnellement des savoirs établis rationnellement. Mais il y aussi des relations, des émotions, de l’inconscient. Ou plus concrètement: Du pouvoir. Des conflits. De l’improvisation. De l’ennui. De la concurrence. Des passions. De la paresse. De la séduction. Des routines. Des discriminations. Des frustrations. De l’ambition. De la peur, de l’angoisse. Du désir. De l’ignorance. Du mépris. De la lassitude. 38
Enseigner c’est notamment Prétendre savoir mieux que les élèves et mieux que les parents. cette supériorité n’est pas sans faille, ce qui expose à certains retours de bâton. Rendre la justice, donc être contestable et contesté au nom de l’équité. Exercer un pouvoir et instituer une loi, donc affronter des résistances ouvertes ou latentes qu’on n’est pas toujours sûr de pouvoir surmonter. Sanctionner certaines conduites, donc prendre le risque de commettre de petites ou de grandes erreurs « judiciaires ». Travailler avec des personnes complexes, sans maîtriser tout ce qu’on leur fait, et parfois s’en mordre les doigts. Être souvent renvoyé à soi-même, à ses propres limites, incertitudes ou crises identitaires. 39
Et encore Être exposé chaque jour au regard des élèves et à travers eux des parents, et donc être jugé sans pouvoir toujours s’expliquer. Être, de temps en temps, déstabilisé par des événements imprévisibles, et du coup être mis à nu devant ses élèves ou ses collègues. Parfois s’engager dans des relations intersubjectives à hauts risques. Être jugé par ses collègues et sa hiérarchie, souvent sans indulgence, sur la base d’indices assez fragmentaires. Vivre des dilemmes, des cas de conscience dont nul n’est certain de sortir fier de soi. Et incidemment créer des situations didactiques et provoquer des apprentissages. 40
Rappel des non-dits 1. La peur. 2. La séduction niée. 3. Le pouvoir honteux. 4. La toute-puissance de l’évaluation. 5. Le dilemme de l'ordre. 6. La part du bricolage. 7. La solitude ambiguë. 8. L’ennui et la routine. 9. L’inavouable décalage. 10. La liberté sans la responsabilité. 41
III. Des évolutions subies ou planifiées ?
Les orientations volontaristes Si le métier d’enseignant doit s’adapter aux changements sociaux, il peut et doit aussi se conformer à des orientations décidées par les pouvoirs en place : Objectifs et programmes de l’éducation scolaire. Nature et limites des tâches éducatives des professeurs et de la division du travail entre l’école et la famille. Rôle des professeurs dans l’éducation à la citoyenneté et aux valeurs. Exigences d’efficacité et d’équité face à l’échec scolaire. Nature et limite de la coopération professionnelle et de la responsabilité collective. Rôle des professeurs dans la sélection et l’orientation. Conceptions dominantes de la didactique et de l’évaluation. Implications dans les innovations et la formation continue. 43
Pour conclure Il importe de prévoir les évolutions futures qui seront imposées par les changements sociaux des prochaines décennies. Et aussi de définir clairement les changements du métier qui sont appelés par des politiques de l’éducation plus soucieuses d’efficacité et d’équité. Ou par une visée de professionnalisation du métier, allant vers plus d’autonomie et plus de responsabilité. Mais le plus urgent et peut-être le plus difficile est de prendre en compte le travail réel des professeurs d’aujourd’hui. 44